Marcel,nouvelle

Publié le par VENNER YANN

                              Rêve de chien.

 

 

Ce matin-là, à l’heure où l’épeire des champs tisse sa fine toile, l’ouvrier Marcel Kébir ouvrit ses volets sur un monde en déliquescence. Il pleuvait encore sur Brest et l’annonce de ce temps maussade, confirmée par le radio-réveil du matin, ralentit l’humeur tiédasse de ce travailleur en mal d’imaginaire.

 

Assis devant son bol de cornes flasques, l’ouvrier Marcel, être impuissant, ruminait sa défaite. Il avait mal dormi. Germaine, dans son sommeil et le lit conjugal, avait hurlé : “ Gégé ! Oh ! non pas ...ça, Gégé !”

 

La preuve était faite. Le mari était cornard ! Il touilla et retouilla le contenu du bol de cornes flasques, les yeux embués par le chagrin. Son désespoir était tel que quand il se rasa, à cause des larmes, il se coupa à plusieurs reprises. Les petites blessures mêlées à la mousse blanche et le sang dégouttant sur la veste de pyjama, le mirent dans une colère sans bornes.

 

Marcel jura comme un charretier embourbé, rinça sa tête d’épouvante sous le robinet, et, l’oeil injecté de sang, s’approcha de son épouse.

 

Germaine gisait sur le ventre. Les draps relevés et la chemise retroussée laissaient entrevoir un postérieur insolent mais généreux. Soleil rose et dodu à la face du monde. Elle poussait de doux soupirs alanguis. Marcel hésitait. La larder de coups de couteau. Lui faire subir les derniers outrages. Décidément, il manquait d’imagination. Et de vocabulaire. Fallait sortir du cadre. Et du cliché. L’ouvrier s’habilla sans faire de bruit, prit  sa besace dans laquelle il mit le Tupperware préparé la veille au soir par l’aimante épouse et placé au réfrigérateur.

 

Une remontée acide provoqua chez Marcel Kébir une grimace involontaire. En même temps, l’idée jaillit. Ca y était ! Il la tenait, la solution ! Occire la pétasse à petit feu. Trouver ce Gégé et lui faire manger le coeur de Germaine, au sens propre ! Organiser la dégustation grandeur nature. Avec petits fours. Un fou-rire le prit.

 

Marcel avait trouvé. La vengeance est bien un plat qui se mange froid, n’est-ce pas ? Surtout quand la garce a le coeur chaud. Il ricana comme un imbécile, tueur en puissance à l’horizon borné. Marcel prendrait des photos, les livrerait à la presse à scandales. Il arriverait bien, grâce à ces clichés, à se faire passer pour le tueur le plus anonyme et le plus sadique.

 

Trois jours plus tard, le quotidien de Brest reçut les photographies. C’était plus qu’horrible. Sur l’une, on distinguait un homme plutôt beau, le pistolet sur une tempe - tenu par une main anonyme - contraint de déguster un plat qui n’avait pas l’heur, pour parler vrai, de lui plaire.

 

Sur une autre, Marcel Kébir, le visage recouvert d’un loup, découpait le thorax d’une femme, avec des couverts à gigot.

 

Enfin, sur une troisième, on voyait un homme vomir et un autre,  masqué, qui riait aux larmes.

 

L’ouvrier Marcel Kébir survécut à ce fait divers. Calme et imperturbable, jusqu’au jour où il se maria de nouveau à une jeunette, sur l’île de la Réunion. Il venait simplement de réitérer les mêmes actes, après avoir entendu sa jeune épouse Brigitta crier dans son sommeil :

 

“Pedro ! Oh ! non ! pas ... ça, Pedro !”

 

C’est en jetant les deux corps par-dessus bord, au large de St Denis, qu’il fut aperçu de la terre ferme par une patrouille de gendarmerie. Elle expérimentait le nouveau matériel reçu la veille, dans le cadre de l’opération appelée Copernic, afin de réprimer les rébellions de plus en plus fréquentes sur l’île. Une erreur dans les colis mit fin aux activités de Marcel Kébir.

 

Quelqu’un confondit - suite à une interversion d’étiquetage - la lunette astronomique à mise au point électronique, livrée pour l’éclipse totale du soleil, avec le bazooka dernier modèle. Il faut dire que les deux objets se  ressemblaient comme des jumeaux homozygotes. Un jeune appelé qui étrennait le matériel au mode d’emploi si complexe, appuya sur la partie nommée “déclencheur” indiquée sur le schéma. Sans le savoir, il venait de venger deux innocentes femmes et deux pauvres bougres, tuant net le cocu breton.

 

Marcel Kébir et son fardeau coulèrent à pic.

 

Les deux amants supposés n’avaient jamais voulu avouer. Gégé et Pedro étaient en fait les petits noms respectifs et intimes de deux adorables loulous de Poméranie auxquels Germaine et Brigitta vouaient une affection sans bornes.

 

Le soir-même, un quotidien réunionnais publiait deux clichés avec pour légende énorme : “SCENES DE MEURTRE EN REUNION ! LE TUEUR SADIQUE SE MET A TABLE !”

 

 

         Yann Venner                                 Le 15 juin 2003.


Publié dans essais littéraires

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F
EXCELLENT YANN, tu fais fort avec Marcel Kébir ! Déjà que dans ton roman BLACK TRELOUZIC, on avait  droit aux délires criminels de Marcel Québir, celui-ci pourrait être son frère jumeau, son ersatz, son fantôme ! Bravo yannick !
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